Les supers-pouvoirs du Dr Kent

« Ah bon, vous ne me remettez pas le dos ? » Non.

 

« Sérieusement, vous m’envoyez aux urgences pour ce hameçon planté perpendiculairement à mon doigt ? » Oui.

 

« Quoi, vous m’envoyez chez le dermatologue pour enlever ce grain de beauté qui me gêne ? » Oui.

 

« Maintenant c’est mon épine calcanéenne droite qui me fait souffrir. Kent m’avait infiltré le talon gauche, et ça m’avait fait beaucoup de bien. Vous pourriez peut-être faire la même chose à droite ? » Non.

 

La prochaine fois que je remplacerai le Dr Kent, il faudra que je pense à me fabriquer une petite pancarte au préalable :

 

« Docteur Granadille, médecin normal. Ne possède pas les super-pouvoirs du Dr Kent, veuillez passer votre chemin si sollicitation d’un de ces pouvoirs »

 

Le Docteur Kent sait tout faire. Il remet des vertèbres, il infiltre à peu près toutes les articulations, il suture tout ce qui doit être suturé, il retire des hameçons, il retire les grains de beauté/molluscums/kystes en tout genre, il évacue les hémorroïdes, il pose les stérilets, etc…

J’admire ces médecins, vrais médecins de campagne qui excellent dans la polyvalence, et j’ai un sacré complexe d’infériorité quand je le remplace.

Ceci-dit, j’ai bien conscience que son activité n’est pas représentative de la médecine générale habituelle, et que tous les médecins ne sont pas supposés avoir de supers-pouvoirs. Rassurée ?

 

Non, pas vraiment en fait. Car sans parler des super-pouvoirs, que je n’obtiendrai sans doute jamais, j’ai vite réalisé, au gré de mes remplacements, à quel point ma formation ne m’avait pas préparée à la médecine générale.

Combien de fois m’est-il arrivé de chercher discrètement sur Internet, pendant que le patient me parlait d’un problème dont je ne connaissais que le nom (et encore..).

Que le premier remplaçant à qui ça n’est jamais arrivé me jette la première pierre.

 

Périostite, épine calcanéenne, pytiriasis rosé de Gibert, verrue séborrhéique, aponévrosite plantaire, tendinite, syndrome d’Osgood-Schlater…

Ce sentiment de honte, en pensant à ce que la dermatologue du coin allait penser de moi en voyant débarquer à sa consultation tous mes patients boutonneux/papuleux/prurigineux.

Le premier BCG, la première IDR.

La bonne blague de la « psychothérapie de soutien », mot-clé important pour les ECN. Je ne sais pas vous, mais ma psychothérapie de soutien à moi consiste à compatir, hocher la tête, et laisser parler.

Et je ne parle meme pas des joies administratives et autres urssaferies relatives à l’exercice libéral.

 

Ça fait maintenant un petit moment que je remplace, et même si je m’améliore tous les jours, il m’arrive encore de découvrir des diagnostics ou termes inconnus. Le dernier en date, c’est « grenouillette », plutot mignon, non ?

« Le Dr Kent m’a dit que j’avais une grenouillette.

Mmmhh (je regarde dans le dossier, il est écrit grenouillette, rien de plus), mmmh  »

Pour information, une grenouillette est un kyste de rétention salivaire au niveau des glandes sublinguales.

 

Notre formation n’est pas inutile, loin de là. Nous apprenons à diagnostiquer et à flairer les diagnostics graves, ce qui est finalement le plus important. Grâce à cette formation, je pouvais, dès mes premiers remplacements, gérer la douleur thoracique, l’urgence digestive ou la pneumopathie.

Pour autant, fait-elle de nous de bons médecins généralistes ?

Tout dépend de la définition du « bon médecin ».

Pour moi, un bon médecin généraliste doit savoir repérer l’urgence, c’est évident, mais aussi savoir gérer les problèmes non graves du quotidien. Et cela, ce n’est pas en un semestre ou deux que nous pouvons l’acquérir.

Les internes de médecine générale ont besoin de stages hospitaliers, notamment aux urgences et en pédiatrie, pour apprendre à repérer l’urgence, et pour appréhender la prise en charge très spécifique des enfants. Mais ont-ils réellement besoin de tous ces stages en service, pendant lesquels ils apprennent des prises en charge spécifiques et souvent protocolisées qu’ils oublieront, et dont il ne se serviront jamais ?

Est-ce l’interne qui a besoin du service, ou le service qui a besoin de l’interne ?

 

Je pense qu’il serait utile de diversifier les terrains de stage en libéral, dès l’externat, mais surtout pendant l’internat. D’une part pour sortir d’un modèle centré sur l’hopital (cf Médecine 2.0), mais aussi pour mieux nous préparer à notre profession.

Car j’entends bien qu’il n’y a pas le feu, et que nous pouvons nous former sur le tas, c’est d’ailleurs le cas aujourd’hui. Mais franchement,  c’est tout de même un peu râlant de faire 9 ans d’études pour finalement se sentir comme un débutant lors du premier remplacement.

 

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8 Commentaires

  1. Cricri

     /  septembre 27, 2012

    Je suis maintenant un « vieux » médecin et je peux vous dire que vous décrivez très bien ce que j’ai vécu au début de mon installation il y a 34 ans.

    Il y a une chose que toutes les facultés du monde n’apprendront jamais, c’est l’expérience.
    Au début de mon installation, j’en voulais également au système hospitalier universitaire et puis en y réfléchissant, il ne peut pas tout nous apprendre et tout nous faire voir tout de suite.
    Bien sûr on peut tout lire, il faut même lire (maintenant Internet est un sacré bon outils), mais il n’empêche que ce n’est sans doute pas à l’hôpital que l’on verra sa première grenouillette.

    Ne vous découragez pas, prenez patience, soyez curieuse, je suis sûr que vous ferez un excellent docteur Kent.

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  2. Oui moi aussi je les admire ces Docteurs Kent qui savent tout faire… Après je me dis qu’ils ont été à la même enseigne que nous et qu’ils ont appris sur le tas…
    Alors il faut se lancer, oser faire sa première infiltration au pif ou presque, poser son premier DIU et au final on va y arriver…

    Mais évidement que l’idéal serait de pouvoir être encadré pour réaliser ces premiers gestes, pour s’y retrouver dans les premières paperasseries etc.
    Parce qu’on n’a le droit d’être des Dr Kent sans se former au pif sur le dos des patients…

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  3. Marc

     /  septembre 27, 2012

    Question : Qu’est qu’un bon médecin ?
    Réponse trouvée sur un blog :
    Qui obéit à la CPAM
    CQFD

    Réponse
  4. Marc

     /  septembre 28, 2012

    Vu les difficultés que rencontrent les MG ont vis à vis de la CPAM, un confrère bloggeur ( je ne sais plus qui) écrivait en boutade que pour la CPAM, un bon médecin était un médecin qui leur obéissait.

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  5. j’ai fait en tout et pour tout un seul remplacement d’une semaine en MG j’ai compris qu’on ne m’avait rien appris je n’ai tué personne mais j’ai failli…
    j’en veux toujours à l’hôpital de ne pas m’avoir appris ce qu’il fallait savoir. c’est une des raisons qui m’a fait fuir la médecine générale que j’avais voulu toujours exercer. j’aurais du comprendre que l’expérience viendrait mais les erreurs commises(pas graves pour la plupart) me poursuivent encore aujourd’hui
    en oph notre enseignement par contre était excellent et adapté à la pratique

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